Dérives des Agents OnlyFans/MYM : Exploitation des Jeunes Modèles

OnlyFans et MYM (Meet Your Model) ont émergé ces dernières années comme des plateformes lucratives de contenus pour adultes, attirant de nombreuses jeunes personnes en quête d’indépendance financière. Mais dans l’ombre de ce succès se développe un véritable Far West du management, où pullulent de prétendus agents ou managers prêts à « aider » de nouveaux modèles.

Ces agences officieuses démarchent massivement de jeunes créatrices sur Instagram, TikTok, Twitter, voire Tinder, en leur promettant monts et merveilles.

« Tous les jours, je suis contactée par quatre ou cinq types sur les réseaux sociaux », témoigne une modèle de 25 ans, active sur OnlyFans depuis quatre ans. Derrière des promesses de fortune et de célébrité se cachent souvent des pratiques abusives : contrats léonins, manipulations, commissions exorbitantes, chantage et arnaques pures et simples. Enquête sur ces dérives qui exploitent les jeunes modèles – et les transforment parfois en véritables vaches à lait malgré elles.

L’essor des plateformes et l’émergence des « managers »

OnlyFans (d’origine britannique) et son équivalent français MYM connaissent un essor fulgurant depuis 2020. Le principe est simple : des fans s’abonnent pour accéder à du contenu exclusif (souvent érotique) proposé par des créateurs et créatrices, qui empochent 80% des revenus tandis que la plateforme prend une commission de 20%. L’accessibilité de ce modèle a séduit de nombreuses jeunes femmes (et hommes) en quête de revenus rapides, parfois inspirés par des stars de la téléréalité monnayant leurs photos de charme.

Parallèlement, une vague de jeunes hommes ambitieux s’est engouffrée dans la brèche en se proclamant agents, managers ou spécialistes du “community management” pour contenus coquins. Souvent âgés de 18 à 25 ans, sans formation particulière, ces apprentis managers montent à la pelle de pseudo-agences de marketing d’influence et démarchent agressivement les nouvelles venues sur OF/MYM. « Ils traquent les petites, les étudiantes en galère, faciles à convaincre parce qu’elles n’ont pas d’expérience de TDS [travail du sexe]. Mais ce n’est pas un travail de pâtissière ! » prévient Olivia, modèle de 22 ans, choquée de voir ces méthodes qu’elle assimile à du proxénétisme. En effet, conseiller de jeunes femmes pour les lancer dans le porno via ces plateformes « c’est quasiment du proxénétisme » s’indigne-t-elle, soulignant le flou moral qui entoure le rôle de ces agents.

Ces nouveaux managers 2.0 recrutent essentiellement via les réseaux sociaux. Ils contactent en privé des créatrices potentielles, souvent des influenceuses débutantes ou des jeunes femmes précaires, et leur vendent du rêve. Le profil type ? « Des individus très jeunes, qui montent des agences improvisées et s’improvisent managers. Biberonnés aux tutos YouTube pour faire fortune en 48h, ces pseudo-businessmen de 16 à 30 ans se voient déjà en gourous du digital », résume un observateur.

Sur leurs comptes, ils exhibent souvent un train de vie flamboyant (voitures de luxe, hôtels à Dubaï…) pour appâter les candidates. Certains n’hésitent pas à acheter de faux abonnés pour paraître crédibles, ou même à faire publier des publireportages élogieux dans des médias économiques afin de se donner une légitimité. Le ton est donné : ces managers autoproclamés sont obsédés par l’argent facile et leur image, rêvant de surfer sur le boom d’OnlyFans/MYM comme on surferait sur la crypto ou le dropshipping. Sur des groupes Telegram dédiés, cette petite communauté s’échange d’ailleurs des astuces et même des « petites annonces » pour vendre ou acheter des modèles et recruter des chatteurs, dans un vocabulaire qui rappelle le négoce de marchandises. Un internaute y commente crûment au sujet d’une recrue potentielle : « Je cherche une niche à la modèle, elle n’est pas super bonne, mais a un bon petit cul ». Le décor est planté : pour nombre de ces agents, les modèles ne sont que des produits monnayables, interchangeables et corvéables à merci.

Promesses mirifiques et contrats abusifs

Le discours de ces agents est bien rôdé. Ils promettent aux modèles novices de faire exploser leur nombre d’abonnés et de décupler leurs revenus en un temps record. En échange, ils proposent leurs services de gestion de compte, de promotion sur les réseaux et de gestion des messages des fans. Pour convaincre, tous les arguments sont bons : mentorat amical (« on va devenir super potes et faire de grandes choses ensemble » a ainsi entendu Christine, 27 ans), promesse de gains extravagants (jusqu’à 30 000 € par mois annoncés), ou même avantages matériels comme des voyages offerts si certains paliers de revenus sont atteints.

Face à de telles perspectives, difficile de ne pas être tenté : « J’avais envie de montrer mon corps pour reprendre confiance en moi après une agression, et gagner de l’argent… », explique Christine, qui a fini par accepter l’offre de l’agence Intima Media démarchée sur Instagram.

La réalité des contrats proposés par ces agents est bien moins reluisante. Souvent, aucun écrit officiel n’est signé : tout se fait à l’oral ou via un simple échange de messages. Et lorsque un contrat existe, il est généralement léonin – largement à l’avantage du manager. La commission prélevée par l’agent y est exorbitante : typiquement 40 à 50 % des bénéfices si le manager s’occupe de tout (gestion des réseaux, publications, réponses aux fans), et encore 15 à 20 % même s’il ne fait que de la promotion partielle. « Lorsque je gérais les messages et le contenu, je prenais 40 à 50% sur ce que ma cliente gagnait. Si je m’occupais juste de la promo, je demandais 15-20%. » confie ainsi un certain Julien, 23 ans, qui a fait de manager MYM son business.

Ces taux faramineux dépassent de loin les pratiques d’autres secteurs – à titre de comparaison, un agent artistique traditionnel prend environ 10% de commission. Dans certains cas extrêmes, la part de l’agent grimpe encore davantage : en 2023, une modèle française surnommée Amatersu a ainsi accepté un deal où la manageuse empochait 70% des revenus, ne lui laissant que 30% de ses propres gains. « Rien ne justifiait une commission aussi énorme », admettra-t-elle plus tard, d’autant qu’elle assumait elle-même la création de tout le contenu.

En plus des pourcentages abusifs, ces contrats informels cachent souvent d’autres clauses pièges. Nombre de modèles se voient dépossédées de leurs accès : le manager exige de prendre la main sur leurs comptes (adresse e-mail, Instagram, TikTok, Twitter, etc.) et parfois même sur les informations bancaires. « On m’a pris le contrôle de mon compte et de mes infos bancaires. J’ai été naïve… » confie une créatrice québécoise, qui a perdu 7 000 $ en trois mois avant de tout arrêter.

En centralisant ainsi les accès, l’agent s’assure un pouvoir total sur l’activité en ligne de la modèle. Certains engagent en coulisses des “chatteurs” – souvent des étudiants payés quelques centaines d’euros – pour se faire passer pour la créatrice et animer les conversations privées avec les fans. L’illusion est totale : la jeune femme n’a plus qu’à produire du contenu, pendant que son prétendu manager endosse le rôle de community manager… et d’encaisseur.

Le piège, c’est que la créatrice devient dépendante de cet écosystème opaque mis en place autour d’elle. Le contrat peut également comporter des durées minimales d’engagement ou des pénalités en cas de rupture anticipée, décourageant la modèle de reprendre sa liberté. Promesses non tenues, opacité des résultats : bien souvent, les belles paroles du début ne se concrétisent pas. Elisa, 24 ans, raconte que son manager n’a su lui ramener que deux abonnés en un mois, sans générer aucun bénéfice – tout en exigeant sa part convenue. Quant à Christine, si son binôme avec Intima Media a effectivement généré une coquette somme le premier mois (35 000 € de revenus, soit ~17 500 € chacun), la suite de la collaboration a tourné court tant le climat est vite devenu toxique.

Notons que dans leur discours public, OnlyFans et MYM se dédouanent de ces pratiques de démarchage. « OnlyFans n’est aucunement en lien ou responsable d’un tiers ou d’une agence », a déclaré la plateforme américaine, tandis que MYM insiste sur son obligation de neutralité en tant qu’hébergeur.

En clair, les sites se présentent comme de simples intermédiaires techniques et déclinent toute responsabilité quant aux arrangements externes entre créatrices et managers. MYM indique tout de même que son service client « accompagne les créateurs en les conseillant et les sensibilisant », et le site de MYM encourage même les agences à se faire connaître officiellement en fournissant une copie de leurs contrats et la preuve du consentement des modèles. Mais cette démarche reste volontaire et peu contraignante. Dans les faits, le secteur demeure peu encadré, propice aux abus contractuels en tout genre.

Pression pour du contenu toujours plus extrême

Une fois le partenariat engagé, nombre de modèles découvrent la pression intense exercée par leur manager pour produire toujours plus – et toujours plus hard. L’objectif inavoué de ces agents est de maximiser les profits en rendant les abonnés accros et en faisant « cracher » un maximum d’argent à ces derniers. « L’idée était de les passer à la presse à porte-monnaie », résume cyniquement Christine en citant les mots de son agent. Pour y parvenir, toutes les stratégies sont bonnes : publications quotidiennes à un rythme effréné, multiplication des plateformes, et incitation à pousser la frontière du softcore vers le porno explicite. Amatersu explique qu’on lui a ouvert pas moins de trois comptes TikTok afin de racoler toujours plus de followers, avec la consigne de poster trois vidéos par jour sur chaque compte – un rythme infernal, épuisant pour cette jeune femme qui souffre de troubles de santé.

Sur Twitter (rebaptisé X), sa manageuse publiait carrément des photos de nu gratuites pour appâter le chaland, l’objectif étant de les rediriger ensuite vers le contenu payant sur OnlyFans. « Elle me mettait la pression et c’était très opaque. Quand je posais des questions – avec qui elle travaille, pourquoi telle photo plutôt qu’une autre… – elle bottait en touche », se souvient Amatersu. Une pression à la productivité maximale qui s’installe, sans explication ni transparence sur la stratégie.

Très vite, les demandes des agents dérapent vers de l’exploitation sexuelle. Beaucoup de modèles témoignent que leur manager les a orientées vers des contenus de plus en plus “hard” pour satisfaire la demande des abonnés. « C’est difficile de ne faire que du light… Les petites commencent à filmer leurs pieds puis ça peut aller très vite », constate Olivia, 22 ans.

Toujours plus – telle semble être la devise implicite. Christine raconte que son agent a suggéré qu’elle se prostitue carrément, en lui faisant miroiter les gains supplémentaires qu’ils en tireraient : « On gagnerait encore plus d’argent si je me prostituais, mais qu’il ne me le demanderait pas parce que ça allait lui coûter cher d’assurer ma sécurité ». Propos glaçants, qui révèlent la logique de certains : pousser jusqu’à la prostitution, tout en se protégeant légalement (il affirme ne pas la “demander”, car cela le rendrait complice…). De fait, ce n’est pas un cas isolé : au Québec, une créatrice nommée Melina Roy rapporte que son manager lui a « proposé quatre fois de se prostituer dans la vraie vie – il prendrait 50% – mais j’ai refusé ».

Une incitation à la prostitution à peine voilée, totalement illégale cette fois. D’autres dérapages s’apparentent à du vol pur et simple : Christine a découvert que son agent vendait sous le manteau des vidéos d’elle – par exemple une vidéo où elle se masturbe, monnayée plus de 1000 € sans qu’elle n’en voie jamais la couleur. « Pour lui, j’étais sa vache à lait. En deux mois, je lui ai envoyé pas loin de 2 000 vidéos ou photos de moi » confie-t-elle, écœurée. Le témoignage d’Alex, un créateur, corrobore ces abus : il rapporte le cas d’une jeune modèle de MYM qui, sous la pression de son manager, aurait été forcée d’avoir des rapports sexuels avec des abonnés.

On frôle alors le proxénétisme au sens plein du terme.

Certains managers dépassent encore les bornes en cherchant à assouvir leurs propres fantasmes aux dépens de leurs clientes. Elisa, 24 ans, se souvient que son agent (âgé de 21 ans) exigeait de vérifier ses tenues et accessoires intimes avant chaque tournage, et la poussait lourdement à réaliser des sex-tapes ou des shows webcam en direct. Le jeune homme s’est même proposé de participer aux vidéos en la regardant se masturber, évoquant aussi l’idée de « plans à trois ou à quatre avec des acteurs pros ». Lorsque la modèle suggère plutôt de filmer avec son compagnon, le manager balaie l’idée : « Trop classique, dépassé, ça n’intéresse personne », rétorque-t-il, avant d’admettre à demi-mot qu’il voulait surtout faire des choses avec elle. Le vernis « professionnel » craque vite pour révéler une tentative de prise d’emprise sexuelle. On le voit, la frontière entre management et abus sexuel est allègrement franchie par certains.

Manipulation psychologique, harcèlement et chantage

Au-delà du contenu produit, les agents exercent souvent une emprise psychologique forte sur les modèles. Les trois premières semaines de collaboration d’Elisa se sont ainsi transformées en véritable harcèlement quotidien de la part de son manager : messages incessants, exigences à toute heure, pressions malgré la vie personnelle chargée de la jeune femme (études, enfant en bas âge, autre emploi). Lorsqu’elle ne répondait pas assez vite, il s’énervait. Puis le ton a glissé vers l’intime et le déplacé : en l’espace de 21 jours, il lui a envoyé la photo de son pénis accompagnée d’un « Tu n’as pas aimé ? » provocateur, ou encore ce message hallucinant où il raconte sortir d’un rapport sexuel avec sa compagne mais avoir « encore envie », et réclame une vidéo d’Elisa pour assouvir ses besoins. La jeune modèle, écœurée, refusera et finira par rompre tout contact.

Ce schéma de manipulation se retrouve chez Christine également. Au début, Thibault (son agent) se montrait charmant et attentionné, multipliant les textos quasi amoureux – « On aurait dit que c’était mon mec, c’était bizarre… Il m’écrivait “Je t’aime beaucoup” », raconte-t-elle. Une technique de love-bombing pour instaurer confiance et proximité. Mais très vite, le vernis s’est effrité : dès que Christine tardait à répondre, son manager entrait en colère. Il a ensuite commencé à la rabaisser constamment, la critiquant sur son physique, son intelligence et sa stabilité mentale. « Il me disait que je n’étais pas belle, pas intelligente, instable psychologiquement » confie-t-elle, encore choquée. Ce jeu de montagnes russes émotionnelles – flatteries puis humiliations – vise à éroder l’estime de soi de la créatrice pour la rendre plus docile et dépendante. Sous emprise, isolée, la jeune femme finit par douter d’elle-même tandis que l’agent renforce son contrôle.

Lorsque la relation professionnelle tourne mal ou que la modèle tente de reprendre son indépendance, certains agents recourent au chantage et aux menaces. Une crainte fréquente chez les victimes est celle du revenge porn : parce qu’elles ont confié des centaines de contenus intimes à leur manager, elles redoutent qu’il ne les diffuse par vengeance en cas de conflit.

Plusieurs femmes ayant témoigné ont d’ailleurs requis l’anonymat par peur de représailles de la part de leur ex-agent. Elisa, avant de bloquer son manager, a préféré lui verser 41 € (une somme symbolique) pour clore le contrat et éviter qu’il ne s’en prenne à elle – elle reste angoissée à l’idée de ce qu’il pourrait faire de ses vidéos privées désormais en sa possession. Dans d’autres cas, c’est sur le plan financier et légal que survient le chantage. Christine a eu la mauvaise surprise de voir son manager changer les mots de passe et les coordonnées bancaires associées à son compte MYM dès qu’il a senti le vent tourner. L’objectif : récupérer pour lui seul les derniers 30 000 € générés sur le compte, sans laisser sa part à la modèle. Heureusement, en alertant rapidement la plateforme, Christine a fait bloquer le virement suspect. Furieux de la voir lui échapper, son agent a alors refusé d’entendre parler d’une rupture : lorsque la créatrice lui a signifié son souhait d’arrêter, il lui a simplement répondu « Non t’inquiète » – comme si le contrat était irrévocable.

La suite a pris la forme d’une guerre juridique initiée par le manager. Fin 2023, Christine a reçu une assignation en justice : Intima Media (la société de Thibault) lui réclame 20 000 € de “remboursement”, plus 65 000 € de dommages et intérêts, pour non-respect supposé de son contrat. Une autre modèle gérée par lui serait également poursuivie de la même façon. « On croit rêver : un escroc qui demande à ce que son escroquerie soit validée par la justice », dénonce Me Tom Michel, l’avocat de Christine. Ce dernier a déposé plainte de son côté pour escroquerie en février 2024, estimant que toute cette affaire pose de graves problèmes de consentement – « Assigner une personne en justice parce qu’elle a refusé de faire des photos intimes d’elle-même est très problématique du point de vue du consentement » souligne-t-il. L’avocat ne se démonte pas face au contrat brandi par l’agent : « Un contrat peut toujours être défait », rappelle-t-il, pointant du doigt le manque de professionnalisme et de connaissance juridique flagrant du plaignant. Et pour cause : « Thibault a reconnu auprès de ma cliente que son contrat avait été rédigé sur ChatGPT ! » ajoute Me Michel. Un contrat bricolé par intelligence artificielle, sans validation légale – cette révélation illustre bien le dilettantisme cynique de certains de ces agents autoproclamés.

Des modèles isolés, en détresse et en burnout

Derrière ces histoires d’horreur, il y a des êtres humains brisés. Bon nombre de modèles piégées par des agents peu scrupuleux en ressortent financièrement et psychologiquement éprouvées. Le cercle vicieux est souvent redoutable. D’abord l’argent facile fait miroiter une issue à la précarité : « Publier des photos érotiques en lingerie est bien plus lucratif que n’importe quel job », confient certaines à propos de MYM. Mais si des contenus fuitent en ligne – ce qui arrive fréquemment – leur réputation dans la vie réelle peut être atteinte, compromettant tout retour à un emploi classique. Elles se retrouvent alors coincées à continuer sur la plateforme pour subsister, même si cela les détruit moralement. La présence d’un agent malintentionné aggrave encore cet isolement. La modèle, souvent, n’ose pas parler de ce qu’elle vit : le sujet est tabou, elle craint le jugement sur son activité de créatrice de contenu pour adultes, et redoute les représailles de l’agent. Loin d’être une épaule bienveillante, ce dernier l’isole de son entourage et accapare toute sa vie numérique.

Beaucoup décrivent un épuisement professionnel (burn-out) à force de devoir sans cesse produire du contenu explicite sous pression, répondre aux sollicitations à longueur de journée (surtout quand on leur impose des chatteurs qui créent artificiellement plus d’interactions), et gérer l’anxiété permanente d’éventuelles fuites ou chantages. Alex, un créateur de MYM, raconte comment il a fini par quitter ce milieu où « chaque jour je devais me demander quelle nouvelle photo ou vidéo faire », au point d’en perdre le plaisir de vivre normalement. « Ce monde, je n’en veux plus : quand je rentre du travail, je préfère sortir mon chien ou jouer à la console plutôt que de me prendre la tête sur du contenu », confie-t-il, soulagé d’être sorti de cet engrenage.

Chez les femmes, le phénomène est similaire, aggravé par le stress émotionnel causé par les abus subis. Certaines sombrent dans la dépression, et on peut légitimement parler de burnout tant les symptômes s’apparentent à ceux des travailleuses du sexe exploitées traditionnellement (fatigue extrême, désensibilisation, pertes de repères, etc.). Olivia, 22 ans, observe que beaucoup de « petites » débutantes se laissent embarquer et « ça va très vite » vers du toujours plus hardcore, une escalade dont il est difficile psychologiquement de revenir en arrière une fois certaines limites franchies.

Un vide juridique propice aux abus

Comment de telles dérives peuvent-elles prospérer en toute impunité ? En grande partie à cause d’un vide juridique et réglementaire. En France, la loi définit le proxénétisme comme le fait d’aider, d’inciter ou de tirer profit de la prostitution d’autrui (article 225-5 du Code pénal). Subtilité : la prostitution, elle, est entendue comme impliquant un contact physique entre le client et la personne prostituée. Dès lors, les agents OnlyFans/MYM se réfugient derrière cette distinction : puisqu’il n’y a pas de rapport sexuel physique mais seulement des contenus virtuels, ils prétendent ne pas tomber sous le coup du proxénétisme.

« Les gens parlent de proxénétisme virtuel, c’est une fausse idée », affirme d’ailleurs Julien, agent MYM : « Sur MYM, ce sont des femmes consentantes et dans la légalité. ». De leur point de vue, ils ne font “qu’aider” des créatrices à gérer leur image en ligne. Et tant pis si, dans les faits, ils profitent de personnes en situation instable, ce qui correspond en tous points à la définition morale du proxénétisme. Cette zone grise légale n’est pas propre à la France : « Où est la frontière avec l’illégalité dans ce nouveau secteur ? Si la créatrice fait ce qu’elle veut faire, ce n’est pas illégal. Si elle engage un manager, ce n’est pas illégal. Mais si on la force à se prostituer pour de vrai […] on tombe dans l’illégal » résume Me Marie-Hélène Giroux, avocate au Québec.

Autrement dit, tout ce qui précède le franchissement de la ligne de la contrainte physique demeure hors du radar de la loi. Payer un étudiant pour chatter à la place d’une modèle, usurper son identité en ligne pour soutirer de l’argent à des fans crédules ? Ce n’est pas encadré spécifiquement. Prendre 70% de commission à une créatrice naïve qui n’ose pas protester ? Pas illégal non plus, si elle a donné son accord initial. En l’absence de textes adaptés, ces managers peu scrupuleux opèrent en roue libre.

En outre, contrairement aux agences de mannequins ou d’artistes, ces agences de créateurs de contenu érotique n’ont pas besoin de licence spécifique. N’importe qui peut se proclamer agent OnlyFans du jour au lendemain, sans compétence ni structure juridique sérieuse. Certains ouvrent bien une société pour la forme (Intima Media, OFM, etc.), mais beaucoup restent dans l’informel. « C’est la nouvelle tendance pour se faire de l’argent sur internet, après la cryptomonnaie. Il y a peut-être trois agences sérieuses au Québec », estime Jey, un créateur de contenu pornographique. Le reste ? « La majorité des agences sont des arnaques » assène-t-il sans détour. Ce diagnostic est tout aussi valable en France, où aucun organisme ne vient contrôler les promesses ou pratiques de ces officines.

Aucune régulation sectorielle n’existe à ce jour pour protéger les créateurs de contenu en ligne des abus de managers tiers. Les plateformes, de leur côté, se retranchent derrière leur statut d’hébergeur neutre, bien contentes de toucher leurs 20% sans avoir à gérer ces litiges externes. Il n’existe pas (encore) de “syndicat des créateurs OnlyFans” ni de dispositif d’aide spécifique. Les victimes de ces agents indélicats se retrouvent donc seules face à leurs bourreaux, avec pour seule arme le droit commun (dépôt de plainte pour escroquerie, harcèlement, etc., au cas par cas).

Premiers recours juridiques et actions collectives

Malgré ce contexte défavorable, les lignes commencent à bouger timidement. Échaudées par les abus qu’elles ont subis, certaines modèles décident de porter l’affaire devant les tribunaux. La plainte pour escroquerie déposée par Christine en 2024 en est un exemple emblématique. Son avocat a bon espoir de faire reconnaître que le contrat et le comportement de l’agent relevaient de la tromperie et de l’exploitation. De même, d’autres jeunes femmes auraient entamé des démarches pour dénoncer leurs ex-managers véreux, bien que la peur des représailles en freine plus d’une. Dans le cas de Christine, l’intervention rapide de MYM pour geler les fonds détournés par l’agent montre qu’il est possible d’obtenir l’appui technique de la plateforme en cas de tentative de vol manifeste. C’est un premier pas, même si MYM ne s’implique pas au-delà.

À l’étranger, des poursuites collectives commencent aussi à mettre en lumière ces dérives. Aux États-Unis, OnlyFans fait face à une action en justice de la part d’utilisateurs qui estiment avoir été trompés par le système des chatteurs : ils pensaient dialoguer en privé avec leur modèle favori, alors qu’en réalité c’était un employé d’agence impersonnel en face. « Si nous avions su, nous n’aurions pas payé », affirment-ils, accusant OnlyFans de fermer les yeux sur ces tromperies car la plateforme en profite financièrement. De même, en 2021, une plainte contre la célèbre agence américaine Unruly Agency a révélé des faits d’escroquerie : des fans s’étaient fait soutirer des informations personnelles par de faux comptes gérés par l’agence. Deux ex-employés d’Unruly ont même témoigné avoir pour consigne de « mentir, duper et tromper intentionnellement les fans » en se faisant passer pour les modèles – assimilant ces pratiques à de la fraude pure et simple.

Le New York Times a qualifié ce phénomène de “e-pimping” (proxénétisme en ligne). Certaines des plus grosses agences d’OnlyFans ont aussi été attaquées par leurs propres créatrices : ainsi, plusieurs modèles célèbres (Sarah Stage, Jessica Quezada…) ont poursuivi Unruly Agency en dénonçant des pressions pour poser nus, des publications de contenus sans consentement ou des clauses contractuelles abusives les liant excessivement.

Autant d’initiatives judiciaires qui signalent que l’impunité pourrait toucher à sa fin pour ces agents véreux, à mesure que les victimes s’organisent et osent témoigner.

Mises en garde et conseils d’experts

Face à l’ampleur de ces dérives, les avertissements se multiplient pour mettre en garde les aspirants créateurs de contenu. « Les girls, si vous pensez que les agences sont là pour vous… no way », prévient ainsi Shanny Côté-McDuff, 22 ans, dans une vidéo TikTok visionnée par des milliers de jeunes femmestvanouvelles.ca. Elle y raconte comment une agence lui a extorqué des milliers de dollars avant qu’elle ne reprenne le contrôle de son compte et gagne finalement bien mieux sa vie toute seule. Son message est sans équivoque : beaucoup d’agences ne cherchent qu’à profiter des modèles, pas à les aider. De son côté, la criminologue Maria Mourani alerte sur le fait que « OnlyFans, c’est une porte d’entrée vers la prostitution » pour de nombreuses jeunes : hier elles débutaient comme danseuses ou masseuses avant de finir escortes, aujourd’hui la trajectoire passe par les plateformes en ligne. Une évolution insidieuse qui peut piéger celles qui n’y sont pas préparées. Se réapproprier son corps et son image en vendant du contenu érotique peut sembler émancipateur, mais cela peut vite devenir l’inverse lorsqu’un intermédiaire sans scrupule s’en mêle.

Les experts recommandent la plus grande prudence vis-à-vis des offres de management sur OnlyFans/MYM. « Aucun de ces mecs n’est légitime pour vouloir nous “aider” », tranche Louve, 27 ans, créatrice qui a carrément affiché « no agency » dans sa bio Instagram. « Ils ne sont pas confrontés aux stigmas à notre place. Pour eux, le sexe est un dû. » Son conseil : fuir ces soi-disant agents qui, bien souvent, n’apportent rien d’autre que des ennuis. Si une créatrice souhaite malgré tout s’associer, il est impératif de choisir une agence sérieuse et transparente : vérifier son existence légale, parler à d’autres modèles de leur expérience, lire attentivement chaque clause du contrat et exiger des explications claires (et ne pas signer sous la pression). Toute promesse trop belle pour être vraie (revenus astronomiques garantis, réseaux multipliés sans effort, etc.) doit mettre la puce à l’oreille. « On n’achète pas 50 000 followers du jour au lendemain, sauf à tricher ; c’est louche », rappelle une créatrice expérimentée. Par ailleurs, conserver la maîtrise de ses comptes et de son contenu est crucial : ne jamais donner ses mots de passe sans solide garantie, et envisager de garder un accès coadministrateur pour surveiller ce qui est fait en son nom. Enfin, en cas de litige, ne pas hésiter à faire appel à un avocat spécialisé : même si la loi est en retard, des axes juridiques existent (plainte pour vol, escroquerie, abus de confiance, harcèlement…). « Les contrats abusifs n’ont pas de valeur », souligne Me Michel, juriste, rappelant qu’un consentement arraché sous manipulation ou méconnaissance peut être contesté.

En l’absence d’une régulation formelle du secteur, c’est donc l’information et la solidarité qui servent de meilleure protection. Des créatrices établies, comme l’influenceuse Jade Lavoie au Québec, ont monté leurs propres agences plus éthiques – Jade a fondé une agence 100% féminine qui affiche « Chez nous, on respecte les femmes », signe que même de l’intérieur, on reconnaît la toxicité des managers masculinistes. D’autres partagent publiquement leurs mauvaises expériences pour éduquer les nouvelles venues et faire tomber les prédateurs. Il faudra sans doute du temps pour que la loi rattrape ces nouvelles formes d’exploitation en ligne. D’ici là, la meilleure arme reste la vigilance : ne pas céder aux chants des sirènes de l’argent facile sans voir le piège, et se rappeler qu’entre les mains d’un agent véreux, le rêve OnlyFans peut vite tourner au cauchemar. Mieux vaut être seul(e) que mal accompagné(e) – un adage qui, à l’ère des plateformes porno-lucratives, n’a jamais sonné aussi juste.


Sources:

Cette enquête s’appuie sur de nombreux témoignages de modèles publiés dans la presse, ainsi que sur les analyses d’avocats, journalistes et experts en cybercriminologie. Les références citées illustrent les cas et faits évoqués. Toutes les personnes mentionnées le sont sous pseudonyme le cas échéant, et les situations décrites reflètent les dérives documentées jusqu’en 2024-2025.

https://www.streetpress.com/sujet/1715692714-jeunes-femmes-arnaque-onlyfans-mym-porno-erotique-plainte-escroquerie

https://madeinperpignan.com/reseau-social-mym-createur-de-contenu-erotique-manager-temoignages-perpignan

https://www.tvanouvelles.ca/2024/10/08/des-modeles-disent-avoir-ete-arnaquees-par-des-agences-de-marketing-qui-leur-promettent-de-devenir-riches-sur-onlyfans

https://www.bfmtv.com/tech/actualites/reseaux-sociaux/onlyfans-poursuivi-par-deux-hommes-qui-croyaient-parler-aux-creatrices-auxquelles-ils-etaient-abonnes_AN-202504020289.html

https://www.vice.com/en/article/onlyfans-management-agency-chatters/

https://www.taulersmith.com/rolling-stone-article-unruly-agency-exploitation/

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